Impasse à Kakma : les subtilités du maintien de la paix en Croatie, juin 1994, Mike Vernon.
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Mike Vernon au poste d'observation SC44, Croatie, juin 1994.
L'auteur était intégré comme journaliste au 1er Bataillon du Princess Patricia's Canadian Light Infantry (PPCLI) en juin 1994, peu après avoir pris sa retraite des Forces armées canadiennes (FAC) avec le grade de capitaine dans ce même régiment. Cet article a été rédigé en juillet 1994. Une version abrégée a été publiée dans le « Toronto Star. »
Les habitants de Kakma sont une communauté qui a peu confiance dans la paix et les forces de maintien de la paix. Les soldats canadiens qui leur sont dévoués sont professionnels, mais de plus en plus frustrés par les réalités difficiles du maintien de la paix dans le sud de la Croatie. Les événements qui ont précédé l'impasse du 22 juin [1994] expliquent pourquoi.

Deux soldats s'occupaient d'un poste d'observation en Croatie, 1994.

Contexte
Kakma est un village serbe situé dans la zone de séparation qui divise Serbes et Croates dans le sud de la Croatie. Cette bande de territoire s'étend le long des frontières intérieures de la Croatie et de la République autoproclamée de Krajina serbe. Dans cette zone, des soldats des Nations Unies, des Canadiens, sont chargés de maintenir sa démilitarisation. La zone de séparation mesure deux kilomètres de large à son point le plus étroit et atteint par endroits cinq kilomètres.
Kakma est une préoccupation constante pour le 1er Bataillon du Princess Patricia's Canadian Light Infantry (1 PPCLI), désigné CANBAT 1 au sein de la Force de protection des Nations Unies (FORPRONU), depuis le début de son déploiement pour faire respecter le dernier cessez-le-feu, le 4 avril.
Le problèmef ondamental réside dans le profond scepticisme des Serbes quant à la capacité de l'ONU à les protéger lorsque – et pour eux, la question n'est pas de savoir « si » les Croates attaqueront de nouveau. Les villageois se souviennent comment, lors de l'offensive croate (opération Maslenica) qui a débuté le 22 janvier 1993, les troupes françaises et kényanes de l'ONU se sont retirées ou sont restées passives. Comme me l'a confié un soldat serbe : « Je fais confiance aux soldats canadiens, mais pas aux gouvernements, ni à l'ONU. Ici, je ne fais confiance qu'à mon arme pour me protéger, moi et ma famille. »
Par conséquent, les villageois et la compagnie de soldats serbes qui y résident - essentiellement une force de protection locale - veulent que leur village soit retiré de la protection de l'ONU et que la zone elle-même s'étend sur deux kilomètres jusqu'à ce qui est maintenant le territoire croate. Cela permettrait aux soldats serbes de porter des uniformes et des armes ouvertement à Kakma, comportement contraire à l'accord de cessez-le-feu tant que le village se trouve dans la zone.
En tant que communauté de première ligne, les citoyens de Kakma sont naturellement préoccupés par leur sécurité. Ils ne sont pas enclins à faire confiance aux soldats canadiens sincères qui leur disent : « Faites-nous confiance, nous sommes différents ». (En effet, les soldats du 2 PPCLI ont riposté contre les forces croates lors de l'opération de la poche de Medak en septembre 1993). Les Serbes ont déjà juré qu'ils retourneront leurs armes sur leurs anciens défenseurs s'ils tentaient de se retirer comme leurs prédécesseurs face à une attaque croate.
En plus de cette menace, les habitants de Kakma ont démontré leur militantisme de plusieurs autres façons. La station de pompage adjacente à leur village est d'importance régionale. Bien qu'elle ait le potentiel de pomper de l'eau du côté croate, l'eau n'a pas coulé dans cette direction depuis le début des combats en 1991. Au début de juin, quelqu'un a utilisé des explosifs pour détruire une section de la conduite menant à Biograd, détenue par les Croates.

Des soldats canadiens construisent des caravanes préfabriquées, Croatie, 1994.
Les Serbes refusent catégoriquement d'être « occupés » par des soldats de l'ONU, ce qui inclut des protestations contre la présence de patrouilles canadiennes à travers Kakma. Après que le pipeline a été endommagé, l'ONU a tenté de démontrer sa présence en érigeant une caravane préfabriquée au milieu de Kakma pour servir de sous-poste à un détachement de police civile des Nations Unies. On croyait que cela ne serait pas aussi provocateur que les soldats patrouillant dans les rues. Laissée sans surveillance lors de la première nuit, la caravane est explosée, probablement par une mine antichar.
Le plan
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Le MGen Kotil (souriant au centre) entouré de soldats serbes, Kakma
Par conséquent, le 18 juin, le commandant de l'ONU du secteur Sud, le major-général Rostilav Kotil, un Tchèque, a convenu avec le commandant du corps serbe de Dalmatie du Nord que les troupes canadiennes rétabliraient le statu quo d'avant le cessez-le-feu à Kakma. Les troupes de CANBAT 1 procéderaient ainsi en construisant une autre caravane pour un détachement de police civile des Nations Unies sur le site où la première avait été détruite, en hissant le drapeau de l'ONU au-dessus de la station de pompage d'eau, en établissant un poste d'observation adjacent à la clôture de la station de pompage et en réparant la conduite d'eau endommagée menant du côté croate. Il n'a jamais été question que l'ONU pompe ensuite de l'eau vers les Croates ; il a simplement été indiqué que le pipeline serait remis dans son état d'avant le cessez-le-feu.
L'opération devait débuter à 8 h, le 22 juin. La veille, des sapeurs canadiens effectuaient des travaux préparatoires, notamment le déminage d'un chemin longeant l'oléoduc et la construction de la caravane pour un détachement de police civile des Nations Unies. L'opération devait être totalement transparente et les officiers canadiens s'attendaient à ce que la chaîne de commandement militaire serbe informe leur compagnie à Kakma du déroulement des opérations.
Prélude à l'opération
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(De gauche à droite) le mgén Kotil, le lcol Diakow, le capt McIntosh à Kakma, le 22 juin 1994.
Alors que CANBAT 1 se préparait à l'opération, des soldats serbes de Kakma patrouillaient dans la zone de séparation, en violation de l'accord de cessez-le-feu. Les soldats de la compagnie C (1 PPCLI) ont appréhendé des Serbes en uniforme, armés de fusils d'assaut, les soirs du 19 et du 20 juin. Leurs Kalachnikovs ont été confisquées et des lettres de protestation ont été adressées au commandant serbe local par le capitaine Keith McIntosh, commandant par intérim de la compagnie C.
Le matin du 21 juin, une demi-douzaine de Patricias’ s'affairaient à ériger un mur anti-souffle à trois côtés pour la caravane pour le détachement de police civile des Nations Unies que les ingénieurs étaient en train de construire. Leur plaisanterie habituelle était que, la caravane finirait inévitablement par exploser, le mur anti-souffle minimiserait au moins les dégâts aux maisons alentour.
Parallèlement, des sapeurs du 1er Régiment du génie de combat de Chilliwack ont entrepris de dégager le sentier de patrouille longeant l'oléoduc. L'herbe y atteignait un mètre de hauteur, un terrain dangereux car elle pouvait dissimuler des fils-pièges et des barres de déclenchement de mines.
Trois soldats travaillaient en avant avec un détecteur de mines, prêts à utiliser des explosifs plastiques pour neutraliser les mines qu'ils découvriraient. Un véhicule blindé de transport de troupes (TTB) M113 équipé d'une lame de bulldozer suivait pour ratisser le terrain et sécuriser le parcours. Les Canadiens ignoraient tous des risques liés aux mines dans cette zone, et travaillaient sans l'aide d'ingénieurs serbes ou croates, se fiant entièrement à leur matériel.
Peu avant midi, le TTB a déclenché une mine antipersonnel reliée à une autre, projetant une pluie d'éclats sur les soldats en première ligne. Un hélicoptère de l'ONU, qui survolait la zone de la compagnie D, a été détourné pour une évacuation aéro-médicale.
Àl'atterrissage, les secouristes sur place s'efforcèrent de réaménager l'intérieur de l'appareil pour accueillir les deux blessés les plus graves, tandis que des fantassins pratiquaient un massage cardiaque et la respiration artificielle sur le caporal-chef Mark Isfeld et surveillaient les autres. Malgré la rapidité de l'évacuation, le caporal-chef Isfeld décéda peu après son arivée dans un service chirurgical tchèque à Knin.
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(De gauche à droite) le cplc Ken Taylor et le sgt Serge Cowen, Kakma.
Le sergent Serge Cowen et sa section de cinq hommes, l'indicatif radio 33A, ont été chargésde garder la caravane du détachement de police civile des Nations Unies à Kakma cette nuit-là, et d'effectuer des patrouilles à pied dans la ville.
J'ai accompagné la première patrouille, avec le sergent Cowen et les soldats Robson et Wagman. Nous sommes partis alors que les habitants tenaient une grande réunion en plein air sur un terrain de football à 150 mètres de la caravane. À la fin de la réunion, nous nous sommes retrouvés face à une demi-douzaine de jeunes hommes, dont le commandant de la compagnie locale, que les Canadiens ont surnommé « Lieutenant Jésus » en raison de ses cheveux blonds mi-longs.
La première chose qu'ils ont voulu savoir, c'était l'identité du « civil » qui accompagnait la patrouille. « Croate ? »

Sgt Serge Cowen, Kakma, 22 juin 1994.
« Non, journaliste », répondit le sergent Cowen. J’ai présenté ma carte de presse pour vérification. Le fait qu'elle avait été émise de Zagreb suscita un certain intérêt. J'ai expliqué que le quartier général de la FORPRONU se trouvait à Zagreb.
Ensuite, ils ont alors demandé à Robson, l'opérateur de radio, de porter son arme en bandoulière plutôt qu'en travers du corps, comme il le faisait habituellement en patrouille. Ils estimaient que cela paraissait trop agressif.
Pour leur dernier acte, ils ont engagé le sergent Cowen dans une « discussion » de quinze minutes sur l'ensemble du conflit serbo-croate, le genre de discours que les Casques bleus entendront maintes fois au cours de leur déploiement. Enfin, nou savons été autorisés à reprendre notre patrouille.
Les choses étaient calmes cette nuit-là, avec seulement un groupe occasionnel d'hommes en civil marchant dans les rues. Les Iltises canadiens ont parcouru les routes secondaires autour de Kakma pour confirmer que les Serbes ne continuaient pas de patrouiller eux-mêmes dans la zone. Ils ont été aidés par des soldats à un poste d'observation voisin, Sierra Charlie 44, qui utilisaient du matériel de vision nocturne.
L'OPÉRATION, L2 22 JUIN 1994
Peu après l'aube, le sergent Cowen envoya un rapport de situation par radio au quartier général de la compagnie C : « Trois, ici trois-trois alpha. Rapport de situation : j'ai repéré dix Serbes armés et en uniforme dans une maison à 25 mètres de ma position. » Ceux d'entre nous qui étions encore à peine réveillés quittâmes l'abri du mur anti-souffle pour aller voir de nos propres yeux. Il y avait effectivement dix soldats serbes rassemblés de l'autre côté de la route, armés de fusils d'assaut, de mitrailleuses légères et de lance-roquettes.
Le sergent Cowen est passé de l'autre côté pour parler avec eux et est revenu sous peu. Ils disent que si nous essayons de confisquer leurs armes, ils ont l'ordre de tirer pour tuer. Maintenant, nous étions complètement éveillés.
Pendant les minutes qui ont suivi, les deux parties se sont observées. L'âge des Serbes variait, la majorité d'entre eux semblant être à la fin de la trentaine ou au début de la quarantaine, avec une peau brun foncé et des vêtements de camouflage. Il y avait une clique plus jeune qui comprenait le commandant de compagnie, maintenant vêtu d'une casquette de campagne plate, et un homme plus âgé vêtu d'un uniforme qui semblait dater de la Seconde Guerre mondiale.
Pendant que nous observions, la radio à l'intérieur du TTB de la section transmettait des rapports des autres sous-unités : des soldats serbes armés apparaissaient dans toute la zone de responsabilité de la compagnie C - à la station de pompage, dans les bunkers à l'extérieur, à 50 mètres du poste d'observation Sierra Charlie 45, sur le mont Petrim, et aux barrages routiers improvisés autour de Kakma.
Les renforts continuaient d'arriver au compte-gouttes et, en moins de 15 minutes, les soldats serbes de l'autre côté de la route étaient presque trois fois plus nombreux que la section du sergent Cowen.
Puis, un événement humain vint momentanément apaiser les tensions. Un Serbe anglophone au nom imprononçable traversa la rue, un verre de rakije (eau-de-vie de prunes), a la main. « Je ne bois généralement pas avant le petit-déjeuner… », dit unsoldat en remerciant l'hospitalité d'une gorgée de ce liquide âpre.

Le cplc Ken Taylor avec un soldat serbe, Kakma.
Le Serbe est resté pour discuter à l'amiable de lui-même, de son temps comme parachutiste en Bosnie-Herzégovine, de sa formation en parachutisme et de la discothèque qu'il projetait d'ouvrir dans la ville voisine de Benkovac. Bientôt, d'autres se sont déplacés pour parler et comparer leurs armes avec le cplc Ken Taylor. Ils ont même échangé certaines de leurs balles tenaces de 5,56 mm contre l'équivalent canadien.
Puis, ils sont allés encore plus loin, demandant deux litres de diesel – une denrée très précieuse en Krajina ces temps-ci – afin d'envoyer quelqu'un à Benkovac acheter de l'agneau pour le déjeuner. Le sergent Cowen a autorisé l'un de ses soldats à leur en fournir.
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Le lcol Diakow (à gauche) discute avec le capt McIntosh à côté d'un Iltis à Kakma.
Au cours de l'heure suivante, les communications radio s'intensifièrent. Un hélicoptère de l'ONU commença à survoler la zone. Le capitaine McIntosh se rendit auprès du commandant du bataillon serbe local pour protester contre la violation flagrante du cessez-le-feu par ses soldats. À ce stade, on ignorait si les soldats stationnés à Kakma, et dans ses environs étaient au courant de l'accord du 18 juin et, de plus, s'ils agissaient sur ordre ou à l'encontre de celui-ci.
Une patrouille de police civile des Nations Unies à bord d'une Jeep Cherokee blanche s'est arrêtée pour inspecter leur nouveau domicile. N'étant pas armés, ils sont repartis prudemment après que le sergent Cowen les eut informés de la situation de crise.
Après sept heures, le sergent Cowen, exaspéré par les politesses, ordonna à ses hommes de refuser toute nouvelle offre de rakije. (Les Serbes continuaient de boire à un fût d'un gallon posé sur un mur de l'autre côté de la rue). Il fit monter toutle monde dans le TTB avec leur équipement. « Si l'opération se déroule comme prévu, leur dit-il, il faudra peut-être partir d'ici en vitesse. Ils peuvent prendre la caravane, s'ils la veulent. »

Le soldat Wes Friesen, conducteur de TTB M113, Croatie 1994.
Il s'adressa au soldat Wes Friesen, le chauffeur de la section : « Quand je vous dis de le faire, continuez tout droit pour les écoutilles du côté croate. Puis il commença à donner des ordres aux autres membres de la section, en attribuant des cibles pour les tirs de mitrailleuses et les grenades. Les membres de la section ont commencé à vérifier et à revérifier leurs armes et leurs munitions. [Quelqu'un m'a offert une grenade. J'ai été tenté de l'accepter, compte tenu de la situation, mais comme je venais de prendre ma retraite des Forces canadiennes un mois plus tôt, j'ai pensé qu'il ne serait pas approprié qu'un journaliste civil soit armé. J'ai refusé.]
L'heure H, fixée à 8 h, approchait à grands pas et la confusion régnait sur le réseau de la radio de la compagnie. Tous les soldats étaient conscients de la gravité de la situation, mais aucune instruction n'était parvenue pour reporter l'heure H, ou modifier le plan. Le capitaine McIntosh était toujours avec le commandant du bataillon serbe et injoignable par radio.

Le sergent Serge Cowen interviewé par l'équipe de télévision, Kakma.
Le sergent Cowen a contacté Sierra Charlie 44 par radio pour obtenir des éclaircissements : « Je n'ai rien entendu ; ya-t-il un putain de plan ou quoi ? »
De l'autre côté de la rue, la plupart des Serbes se prélassaient nonchalamment à l'ombre, tandis que certains manipulaient leurs AK et qu'un autre essuyait sa baïonnette. Leur cuisinier ramassait du bois pour alimenter le feu sous une grande marmite.
"Trois-trois alpha, ici Sierra Charlie quatre-quatre, on suppose que le plan est de procéder comme prévu hier soir – ? "
« Trois-trois alpha, roger--out. »
Je n'avais pas grand-chose d'autre à faire que d'observer, alors je me suis assis sur le pont arrière du TTB, les jambes pendantes dans la trappe de chargement. En dessous de moi, l'un des soldats avait sorti un carnet de poche et écrivait à sa famille : « Cher ______, je vous aime beaucoup tous les deux... J'ai lu par-dessus son épaule. Quelqu'un d'autre a plaisanté Friesen, un mennonite, qui avait environ 15 minutes pour faire tout ce qu'il n'avait jamais fait à l'école biblique.
Puis, littéralement 30 secondes avant l'heure H, le capitaine McIntosh a pris la parole par radio pour informer la compagnie que leur commandant de bataillon, le lieutenant-colonel Mike Diakow, allait rencontrer le commandant de la brigade serbe pour discuter de la situation. L'opération était annulée.
En quelques secondes, la tension ressentie par tout le monde s'est dissipée. « Je vous l'ai dit », a déclaré le soldat Monty Robson avec un sourire. Maintenant, ils parleront pendant les quatre prochains jours et rien ne sera fait. »
Friesen abaissa la rampe du TTB et les soldats du 33A commencèrent à fouiller dans leurs rations allemandes, à la recherche de quelque chose d'assez familier pour être comestible. Encore des craquelins.
La journée devint très chaude. À dix heures, les serbes apportèrent deux miches de pain, deux assiettes d'agneau bouilli et une bouteille en plastique de vin rouge âpre. L'agneau était gras, mais délicieux. Il était encore trop tôt pour du vin rouge.
Il semblait fort probable que toute l'opération s'enliserait dans un dénouement décevant lorsqu'on apprit que le commandant du secteur de l'ONU rencontrerait cet après-midi à Kakma le commandant du corps de Dalmatie du Nord.
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(De gaucheà droite) le lcol Diakow, le capt McIntosh et le mgén Kotil à Kakma.
Le major-général Kotil arrive le premier et visite la station de pompage avec le lieutenant-colonel Diakow. Lorsque le chauffeur du général a commencé à filmer des soldats à la porte de la station de pompage, un Serbe en colère harangua le général, exigeant aucune enregistrement ni aucune photo. Les Serbes sont paranoïaques quant à l'utilisation de photos non autorisées à des fins de propagande contre eux. La caméra vidéo a été soigneusement rangée dans le Cherokee du général.
Une foisl es officiers serbes arrivés, la délégation officielle s'est rendue dans une résidence privée à 16h30 et n'est revenue que trois heures plus tard. À ce moment-là, la petite place près de la caravane était remplie de serbes impatients et de soldats de l'ONU, ainsi que d'observateurs de la Communauté européenne en uniforme blanc « Homme de Glad » et d'officiers de la police civile de l'ONU.
Le major-général Kotil, patricien mais sympathique, mange un sandwich et prend quelques minutes pour parler aux habitants qui l'entourent dans une mêlée serrée avant de partir pour d'autres négociations. Une équipe vidéo d'une station de télévision de Knin a filmé en toute impunité.
Finalement, aucun accord ne fut trouvé ce soir-là. Le soldat serbe, avide de discothèque, revint en disant avoir vu le reportage de Knin et que, selon eux, les habitants de Kakma avaient raison – rien de surprenant ici. La question du déplacement de la zone de deux kilomètres en territoire croate fut inscrite à l'ordre du jour de la réunion du Comité mixte central entre les commandants militaires de l'ONU, serbes et croates, prévue le lendemain.
La section du sergent Cowen reçut l'ordre de quitter la caravane, et de se rendre à Sierra Charlie 44, où tous les Canadiens du secteur de Kakma se rassemblaient pour la nuit. Les Serbes patrouillaient Kakma même, toujours armés. Les officiers de police civile des Nations Unies hésitaient à occuper la caravane, tant que la situation ne s'améliorait pas.

Un soldat utilise une massue pour aplatir des sacs de sable dans le cadre d'un mur d'explosion à Kakma.
Conséquences
Ce genre de situation est de plus en plus frustrant pour les soldats de CANBAT 1. Invariablement, leurs attentes et leur crédibilité sont minées lorsque des opérations comme celle-ci sont mort-nées et dégénèrent en négociations prolongées. On comprend une réticence compréhensible de la part de l'ONU à intensifier trop rapidement ou à recourir à la force alors que la diplomatie semble la voie prudente. Cependant, une telle prudence ne fait certainement pas grand-chose pour convaincre les Serbes que l'ONU fera preuve de la détermination de faire obstacle à une offensive croate.
Pour leur part, les serbes savent tirer profit de l'ONU : les commandants concluent des accords puis déclarent opportunément n'avoir aucun contrôle sur les actions de leurs subordonnés. Ils savent aussi pertinemment que les troupes de l'ONU feront demi-tour, ou s'arrêteront plutôt que de forcer des barricades de fortune ou derisquer de s'engager sur des routes que les Serbes prétendent avoir reminées.
Dans tout cela, la réaction des Croates est la grande inconnue. Jusqu'à tout récemment, lorsqu'ils ont commencé à bloquer le mouvement des convois de ravitaillement de l'ONU, ils étaient silencieux et semblaient patients. Certes, dans le domaine de responsabilité de CANBAT 1, ils adhéraient plus étroitement à l'accord de cessez-le-feu que les Serbes. Les pessimistes parmi les Canadiens croient qu'ils attendent que les Serbes fassent des dommages irréparables au cessez-le-feu par leurs petites violations, fournissant ainsi un prétexte à une nouvelle offensive à l'automne.
Plus d'un mois après le début de l'impasse, la situation reste inchangée et Kakma est considérée comme une violation persistante du cessez-le-feu. Des soldats serbes patrouillent dans la ville et la conduite d'eau n'a toujours pas été réparée.
Épilogue
En août 1995, l'armée croate a pris le contrôle de la Krajina serbe au cours de l'opération STORM. Selon les médias de l'époque, les Casques bleus de l'ONU — y compris les Canadiens — se sont tenus à l'écart alors que les forces croates traversaient la zone de séparation.
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