IFOR, Réflexions sur l'opération ALLIANCE, première rotation, décembre 1995 à juillet 1996 : le point de vue d'un commandant.
AVERTISSEMENT : En raison de la nature du conflit et des opérations dans les Balkans, certaines de ces histoires d'anciens combattants peuvent contenir du contenu graphique ou troublant. Veuillez faire preuve de discrétion. Si une histoire nuit à votre santé mentale, envisagez de demander de l'aide en consultant les organismes énumérés dans la section Ressources de ce site Web.

Contexte
L’IFOR (Opération JOINT ENDEAVOUR) a créé un précédent, puisqu’il s’agissait du premier déploiement de l’OTAN en réponse à une crise. Elle s’est également distinguée par son succès à mettre fin à un long conflit et destructeur grâce à un accord de paix négocié et approuvé par les belligérants. Elle prévoyait des actions spécifiques et obligatoires, assorties d'un calendrier strict et non négociable, et mobilisait une importante force militaire multilatérale lourdement armée pour en garantir le respect. Les tâches principales consistaient à séparer les factions belligérantes, à délimiter les frontières, à retirer les armes lourdes et à garantir la liberté de circulation des civils et des organisations humanitaires.
L’opération ALLIANCE, la participation du Canada à l’IFOR, a également créé un précédent, puisqu’elle impliquait le premier déploiement opérationnel d’un quartier général de formation (celui du 2eGroupe-brigade mécanisé du Canada) à l’étranger depuis la guerre de Corée. Plus important encore, du point de vue des Forces armées canadiennes, il s’agissait du premier déploiement opérationnel d’envergure du Canada depuis que l’enquête sur la Somalie avait gravement terni la réputation de l’armée canadienne. On pouvait comprendre la prudence du gouvernement. Le succès constituerait un premier pas vers la rédemption ; l'’échec ou la moindre controverse serait désastreux. L’enjeu était considérable.
Constituer le contingent
Les instructions que nous avons reçues au sein du 2e Groupe-brigate mécanisé du Canada étaient de constituer une force d'au plus 1 000 militaires, dirigée par un quartier général de brigade capable de prendre sous son commandement des unités d'autres nations de l'OTAN, avec pour mission d'aider à la mise en œuvre d'un accord de paix encore non finalisé pour la guerre civile bosniaque. Les autres capacités à intégrer à la force n'ont pas été précisées. De même, aucun détail n'a été fourni concernant : les forces amies (e.g., formation supérieure, renforts éventuels ou forces de flanc) ; les forces « ennemies ; » les tâches probables ; la zone de responsabilité ; ou les possibilités d'hébergement et d'implantation.
Le gouvernement canadien, on le comprend, était réticent à prendre de nouveaux engagements de cette nature à ce stade (e.g., que planait encore l'ombre de l'enquête sur la Somalie). Un voile de silence fut jeté sur toute l'entreprise. Afin de ne pas dévoiler les délibérations en cours du gouvernement et de ne pas susciter d’attentes dans les médias, je n’ai pas été autorisé à me rendre sur place pour une reconnaissance (j’ai toutefois envoyé mon G3 et quelques-uns de ses proches en Bosnie pour se faire une idée de la situation, afin que nous n’avancions pas complètement à l’aveuglette). De même, il m'était interdit d'entrer en contact direct avec le commandant de la division à laquelle ma brigade pourrait être rattachée. Ces restrictions ont assurément compliqué la planification. Mais un problème plus grave résidait dans le fait que les retards décisionnels entraînaient des retards connexes dans les étapes critiques du processus de planification du déploiement. Plus grave encore, l'élaboration des règles d'engagement (RDE) est arrivée trop tard, et finalement, nous avons procédé au déploiement sur la base d'une version préliminaire des RDE.
Concevoir le contingent canadien aurait constitué un exercice intéressant pour l'École d'état-major, mais la mission était réelle et des vies étaient en jeu. Pour commencer, nous avons établi des effectifs approximatifs pour l'état-major de la brigade, le quartier général et l'escadron de transmissions, ainsi qu'un élément de soutien national. (c’est-à-dire un bataillon des service léger), des sapeurs, de la police militaire et des détachements médico-dentaires. Il nous restait ainsi environ 300 à 350 positions d’établissement pour les éléments deman œuvre. La gestion des risques, la flexibilité de l'emploi et le rapport coût-efficacité étaient les facteurs clés. Finalement, nous avons abandonné les conventions et opté pour une compagnie d'infanterie mécanisée renforcée, équipée d’un bataillon de service, et un escadron de reconnaissance blindée en VBP Cougar. Nous avons opté pour des roues plutôt que des chenilles en raison des avantages qu'elles offraient en termes de mobilité routière et de protection contre les mines. Le groupe de compagnies d'infanterie (finalement la compagnie G du 2 RCR) comprendrait un peloton d'armes de soutien avec des détachements de mortiers de 81 mm montés sur le véhicule blindé Bison, de canons « TOW Under Armour, » de sapeursi et de reco. Le groupe de compagnie G, fort de 185 militaires, serait ainsi déployé avec gamme de capacités parfaitement adaptées aux opérations en environnement incertain. Finalement, nous avons regroupé compagnie avec le régiment blindé britannique (-) qui nous a été assigné une fois sur le théâtre d'opérations, formant un petit, mais puissant groupe de combat et conférant à la compagnie les avantages essentiels du travail dans un contexte d'unité. L'escadron de reconnaissance (un escadron de RCD), pour sa part, devait disposer de trois troupes de reconnaissance de sept véhicules montés dans le Cougar VBP, équipées d'un canon de 76 mm capable de tirer des obus HE, HESH et fumigènes. Cette organisation était, une fois de plus, parfaitement adaptée à la mission de l'IFOR : l'utilité caractéristique de la reconnaissance pour les opérations d'économie de force correspondait parfaitement aux tâches requises pour la mise en œuvre de Dayton ; et le canon du Cougar aurait fourni un précieux appui-feu direct, si nécessaire. L'escadron avait également pour tâche secondaire d'assurer l'équipage de deux chars Léopard (pour le déminage et des missions d'appui-feu limitées).
Les implications logistiques de cette structure de forces étaient considérables. Ainsi, même après avoir défini les principaux éléments du contingent, de nombreux ajustements organisationnels ont été nécessaires pour respecter l'effectif maximal de 1 000 personnes. La constitution des effectifs a également posé d'importants défis. Ces unités n'avaient pas été testées lors d'exercices d'entraînement et de simulation préalables au déploiement, et nous étions à moins d'un mois du déploiement probable. Prenons l'exemple des contraintes que nos décisions concernant la structure des forces imposaient au 2 RCR : le bataillon était équipé de véhicules chenillés, alors que nous avions opté pour un déploiement sur roues. Heureusement, étant fréquemment sur le terrain en raison de leur rôle de « troupes scolaires », le 2 RCR était toujours dans un état de préparation élevé et donc rapidement prêt à répondre aux balles rapides qui leur étaient lancées. Globalement, la flexibilité d'esprit et l'attitude positive au sein du 2e Groupe-brigade mécanisé du Canada se sont avérées à la hauteur de tous les défis à relever lors de la phase de préparation des forces.
Se rendre là-bas d'ici
Pendant que le gouvernement discutait avec l’OTAN de la possibilité d’une contribution du Canada à la mission de l’IFOR en Bosnie, les Forces armées canadiennes étaient en train de démanteler l’infrastructure utilisée dans le cadre des engagements du Canada envers la FORPRONU en Croatie et en Bosnie (opérations Harmony et Cavalier) et de rapatrier d’importantes quantités de matériel. Il s’agissait d’une tâche herculéenne.
Mais alors même que ce trésor de matériel fonctionnel et/ou non fonctionnel était catalogué, emballé et expédié vers l'ouest, des équipes logistiques étaient déployées dans des entrepôts en Croatie pour commencer à trier, identifier et mettre de côté les articles qui pourraient être nécessaires en Bosnie, si les discussions avec l'OTAN concernant une nouvelle mission aboutissaient. À un moment donné, une planification sérieuse des mesures d'urgence a été mise en place. Une fois la structure des forces approuvée, les établissements ont été créés ou mis à jour, et les équipes logistiques et de reconnaissance ont commencé à identifier et à se procurer l'équipement, les pièces de rechange, les munitions, etc.
Lorsque le feu vert pour l'opération a finalement été donné, la date de début de la mission IFOR était prévue dans moins d'un mois. La planification des mouvements de matériel et de personnel a commencé sérieusement – et aussi rapidement que possible, les composantes de l’opération ALLIANCE ont commencé à se déplacer vers l’est, depuis les BFC Petawawa, BFC Gagetown et BFC Montréal au Canada et depuis les ports, des entrepôts et des complexes en Europe, acheminés par voie maritime et aérienne, à destination des aérodromes et des ports en Croatie, puis transportés par des routes dévastées par la guerre jusqu'à un lieu encore inconnu dans les collines et les montagnes de la Bosnie ravagée par le conflit– en plein hiver. Comment cela a été possible reste un mystère pour moi – une question qui me taraude aux aurores, quand le sommeil m'empêche de me rendormir. Comment sommes-nous arrivés là-bas, si rapidement et en si bon ordre? Dieu merci pour les logisticiens, ces magiciens qui rendent les opérations militaires possibles. Je leur serai éternellement reconnaissant.
Gestion des risques dès le départ
Fin décembre 1995, les avant-postes du contingent canadien commencèrent à arriver dans la poche de Bihac, au cœur de sa zone d'opérations. Bien que l'opération de l'IFOR ait déjà débuté, le contingent canadien était encore en transit et commençait tout juste à s'organiser sur le théâtre d'opérations. Un plan de déploiement a été établi : le quartier général de la brigade, l'escadron de transmissions et le centre chirurgical avancé devaient être situés à Coralici ; l'élément de soutien national serait à Velika Kladusa, à l'extrême nord de la zone d'opérations ; et le groupe de compagnies d'infanterie, l'escadron de reconnaissance blindée et l'escadron de génie de campagne seraient stationnés près du village de Kljuc, à l'extrême sud. Les ingénieurs travaillaient d'arrache-pied pour démanteler les bases et construire les infrastructures, même de façon rudimentaire. Les logisticiens recevaient le matériel et le préparaient pour la compagnie d'infanterie et l'escadron de reconnaissance du contingent, dont les effectifs n'étaient pas encore arrivés en nombre significatif. Les signaleurs installaient le quartier général de la brigade, établissaient un réseau de communication fiable sur le vaste terrain accidenté de la zone d'opérations de la brigade et relevaient les défis d'interopérabilité liés à la connexion avec les éléments de l’OTAN et non OTAN rattachés (une histoire qui mérite d'être racontée en soi).
Le quartier général de la brigade était destiné à fonctionner sous le commandement de la Division multinationale Sud-Ouest (fournie par la 3e division britannique), mais cela n'arriverait pas avant que le contingent canadien ne soit déclaré « opérationnel » sur le théâtre d'opérations, ce qui prendrait plusieurs semaines. Un régiment blindé britannique (-) « le Queen’s Royal Hussars » et un bataillon d’infanterie mécanisée de la République tchèque devaient être placés sous le commandement de ce qui allait devenir la 2e Brigade multinationale canadienne, mais ces unités étaient également en transit et étaient toujours sous leur propre commandement national.
Au milieu de ce chaos organisé, nous avons reçu un appel téléphonique du quartier général de la division. Des combattants moudjahidines, originaires de nombreuses nations islamiques et qui s'étaient imposés comme les alliés les plus redoutés du gouvernement bosnien pendant la guerre civile, se concentraient dans la poche de Bihac, à quelques kilomètres de notre quartier général de brigade à Coralici. Le commandant de division nous a « demandé » de « surveiller » le camp des moudjahidines jusqu'à ce que des dispositions soient prises pour les escorter hors de la zone d'opérations. Il n'avait pas encore l'autorité pour nous ordonner d'accomplir cette tâche, et celle-ci comportait des risques. Si des soldats bosniaques devaient faire défection et rompre les accords de Dayton, les moudjahidines étaient les candidats les plus probables. C'était pourtant l'occasion de faire bonne impression auprès d'un commandant de division que je n'avais pas encore rencontré, de démontrer que les Canadiens étaient des hommes d'action compétents sur lesquels on pouvait compter en cas de besoin. Cependant, à ce moment-là, ma seule force de combat était le pelotons D et E qui faisait partie de l'équipe d'avant-garde chargée de sécuriser les trois camps de base canadiens durant cette phase de l'opération. Détourner cette section pour la surveillance des camps et la remplacer par des sapeurs ou des signaleurs n'était pas une option attrayante.
Finalement, nous avons dépêché un détachement de police militaire pour confirmer l'emplacement du camp des moudjahidines. Cette manœuvre exposait les policiers militaires à des risques, mais soulignait aussi l'ampleur et la délicatesse d'une mission de piquetage. C'est donc avec regret que j'ai décliné la demande du commandant de division. En réponse, il a presque immédiatement détaché sous mon commandement, pour des missions de piquetage et autres tâches connexes, une compagnie d'infanterie mécanisée britannique équipée de véhicules de combat d'infanterie « Warrior. » Son évaluation des effectifs requis pour les tâches a permis d'y voir plus clair ! Il s'agissait peut-être d'un incident mineur, mais il illustre bien l'aversion au risque – liée à l'importance de l'opération ALLIANCE pour le rétablissement de la réputation des Forces canadiennes – cela influençait les décisions opérationnelles sur le terrain. J'aime à penser que nous avons toujours privilégié la mission, comme le veut notre devoir. Dans le même temps, la protection des forces demeurait une priorité constante, et trouver le juste équilibre entre les deux constitue l’essence même des responsabilités d’un commandant. Mais dans le cadre de l’opération ALLIANCE, les enjeux étaient encore plus importants, car aucune erreur ne pouvait nuire à l’efficacité des Forces armées canadiennes.
Commencer.
Le fait que Roto 1 de l'opération ALLIANCE ait été précisément cela – le déploiement initial d'un nouvel engagement canadien qui se prolongerait sous une forme ou une autre jusqu'en 2004 – a constitué un facteur de complication majeur. Ce déploiement s'est fait dans la précipitation, sans le temps ni les informations nécessaires aux préparatifs habituels. Le contingent canadien étant arrivé tardivement et le « compte à rebours de Dayton » étant lancé, de nombreuses tâches ont dû être menées de front dès le départ (j'ai comparé la situation à une course contre la montre). Du côté canadien, il a fallu finaliser les dispositions relatives au logement et au soutien des troupes (prévoir tout, des égouts aux sandwichs) devait être achevé. Ce fut également le cas pour les éléments tchèques et britanniques de la 2e Brigade multinationale canadienne. Du côté de l'IFOR, une brigade multinationale dut être constituée à la hâte, tandis que les tâches prévues dans l'ordre d'opérations initial de la division durent être exécutées pendant ce processus.
Les groupes de commandement des éléments constitutifs de la formation se sont réunis pour la première fois le matin où l'ordre initial d'opérations de la brigade a été émis (une véritable brique qui a failli ne jamais être émis, car toutes les photocopieuses du quartier général sont tombées en panne au moment où il était enfin prêt à être imprimé). Par la suite, un effort concerté a été nécessaire pour établir la communication et la liaison internes, la traduction (dans le cas des Tchèques) ainsi que la formation et la normalisation sur des éléments clés de la mission tels que les règles d'engagement (RDE) et le droit de la guerre - des notions de base qui auraient normalement été abordées dans les mois précédant le déploiement.
Parallèlement, l'état-major de la brigade s'efforçait d'élaborer un ensemble complet d’instruction permanente d'opération (IPO) pour les formations – une exigence particulièrement importante au sein d'une force multinationale. Ces IPO ont souvent été improvisées au fur et à mesure. Quand fallait-il porter des armes ? Quand le chargement devait-il être effectué ? Quelle était la charge de combat d’un véhicule quittant un camp ? Comment les mouvements au sein de la zone d’opérations seraient-ils contrôlés ? Quels étaient les niveaux de préparation et les mesures de protection des forces en place ? Quels rapports et comptes rendus seraient requis ; quand et sous quel format ?
L'intégration d'un bataillon tchèque au sein de la 2e Brigade multinationale canadienne a soulevé des problèmes d'interopérabilité particuliers. En 1996, la République tchèque souhaitait rejoindre l'OTAN et sa participation à la mission IFOR était perçue comme une occasion de démontrer son professionnalisme militaire. Bien que le 6e bataillon mécanisé (tchèque) fût une unité compétente, bien entraînée et correctement équipée, il restait handicapé par des années d'application de la doctrine militaire soviétique. En matière de RDE, cela posait problème. La notion de « commandement par mission » – recevoir des instructions sures « quoi » accomplir sans préciser « comment » y parvenir –leur était étrangère. Nous avons passé beaucoup de temps avec le commandantt chèque à lui expliquer ce concept, tout en évitant de mettre en place des dispositifs de déclenchement automatiques qu'il aurait pu utiliser pour ouvrir le feu pendant les hostilités. Cette « reprogrammation » délicate a été rendue d'autant plus difficile par la barrière de la langue. Finalement, je crois qu'il a compris, mais cela a nécessité un effort soutenu. Nous avons eu de la « chance » que l'officier des opérations tchèque, le commandant Luky (prononcé « lucky »), parlait couramment anglais.
La nécessité d’instruction permanente d'opération (IPO) pour la brigade et leur strict respect a été mise en évidence avec force dès les premiers jours de l'opération, lorsqu'un véhicule appartenant à une patrouille britannique chargée « d’explorer » leur zone d'opérations a heurté une mine. Lorsque l'information est parvenue au quartier général de la brigade, j'ai ordonné l'arrêt immédiat de tous les mouvements et j'ai demandé à tous les officiers commandants et à leurs groupes R de se rendre (avec prudence) sur le lieu del 'incident où je leur ai donner la leçon, et je les ai informés d'une instruction permanente d'opération élaborée à la hâte sur le contrôle des mouvements (y compris la création et la maintenance d'une carte détaillée des itinéraires qui avaient été prouvés exempts de mines par les sapeurs de combat).
En résumé : nous n’avons rien hérité et avons dû tout créer. De plus, nous avons dû le faire dès les premiers jours, semaines et mois de la mission, alors que se déroulaient les principales tâches de Dayton : séparer les factions belligérantes, superviser leur retour aux casernes et prendre le contrôle des armes lourdes. On ne s’est pas ennuyé une seconde pendant les trois ou quatre premiers mois !
N'oubliez pas de les emporter avec vous.
Je n’ai ni le temps ni le besoin de chanter les louanges du Génie Militaire Canadien. Ce sont les couteaux suisses de la profession des armes : capables de réparer, construire, protéger, détruire, maintenir la mobilité et de se comporter comme de l’infanterie quand il faut passer aux choses sérieuses. La Bosnie était un terrain de jeu idéal pour les sapeurs. Nous avions un escadron de campagne (le 22e escadron de campagne) dans le contingent, mais il en aurait été préférable d'en avoir davantage. En effet, nous avons commencé l'opération par un renforcement des sapeurs qui a amené des troupes supplémentaires et le cmdt du 2 RGC et son PCR pour planifier et contrôler l'ensemble des efforts des sapeurs pendant les semaines mouvementées où le contingent canadien était mis en place. Après plusieurs semaines d'application des accords de Dayton, il m'est apparu clairement que ce sont les champs de mines et l'état dangereux des routes — et non les factions belligérantes — qui représentaient le plus grand risque pour nos troupes. Le déminage, qui nous a permis d'aller là où nous devions aller – et non partout où nous aurions aimé aller, – a été la contribution la plus importante des sapeurs à la réussite de la mission et à la protection des forces.
Héros méconnus
Notre dispositif comprenait un effectif relativement classique d’un peloton de police militaire sous le commandement du cmdt du 2e Peloton de PM. Mais nous n'étions pas sur le théâtre d'opérations depuis longtemps lorsque j'ai réalisé qu'il nous en fallait davantage. Nos PMs ont accompli une multitude det tâches et ont fait preuve d'une grande économie de moyens. Comme l'a noté plus tard le cmdt : « Le quartier général de la brigade nous considérait comme non-conflictuels, non-agressifs, dignes de confiance et, bien sûr, d'excellents observateurs. »
Une exigence imprévue mais cruciale pour la PM, liée à la nature de notre mission. Avant la mise en œuvre des accords de Dayton, les forces militaires des belligérants étaient omni présentes, contrôlant les déplacements et perturbant la vie des populations locales. Mais ils cessèrent d'être un facteur après les premiers jours de la « guerre de Dayton », car les forces militaires furent tenues de retourner dans leurs casernes et d'y rester. À leur place, la police locale a poussé comme des pissenlits au printemps dans chaque village et à chaque grand carrefour, agitant ses bâtons de contrôle de la circulation pour exercer une autorité apparemment illimitée (il était difficile de déterminer si cela était lié à des ordonnances locales réelles, à l'extorsion, au harcèlement ou à l'abus d'alcool). Les contrôles routiers fréquents nous ont appris que la meilleure façon de résoudre le problème était de combattre le feu par le feu. Par conséquence, nous avons officiellement chargé notre détachement de PM d'établir la liaison et de nouer des relations avec les forces de police locales. Progressivement, les interactions entre la police et les éléments de l'IFOR ainsi que les résidents locaux sont devenues moins conflictuelles. J'en suis venu à considérer nos PM comme des multiplicateurs de force. Leur utilité était telle que j'ai demandé et obtenu du QG de la Défense nationale l'ajout de deux sections supplémentaires à nos effectifs de PM.
Le contingent plus important de PM s'est également avéré utile plus tard au cours de notre déploiement, lorsque j'ai pris des mesures pour réduire les excès de vitesse au sein du contingent canadien. Comme notre zone d'opérations était très vaste, nos troupes avaient tendance à réduire les temps de transit en voyageant à des vitesses qui n'étaient pas nécessaires, si une planificationr igoureuse des mouvements était mise en œuvre. J'estimais que, après les mines, l'excès de vitesse constituait la plus grande menace pour la vie et l'intégrité physique lors de notre opération. J'ai donc fini par imposer des limitations de vitesse inférieures à celles affichées pour les véhicules de l'IFOR et déployé des radars de la PM pour faire respecter ces limitations. J'ai également insisté sur ce point lors de chaque réunion des commandants et lors de mes visites quotidiennes sur le terrain.
Prendre soin de la famille
Par un heureux hasard, l'opération ALLIANCE m'a offert le privilège assez unique d'avoir mon régiment allié sous mon commandement, car mon régiment, le 8th Canadian Hussars, et le Queen's Royal Hussars sont alliés. Cependant, malgré ses belles traditions, ses soldats d'élite et ses machines de guerre de dernière génération, le Queen's Royal Hussars était mal préparé à affronter l'hiver bosnien. Nous l'avons constaté lorsque l'officier canadien en échange s'est présenté aux portes du quartier général de la brigade pour demander (et obtenir) un sac de couchage et des vêtements chauds canadiens. Nous avons également appris qu'un objet de base tel qu'un radiateur était une denrée rare dans les lignes du Queen's Royal Hussars (le détachement canadien des transmissions, correctement équipé, au quartier général du groupement tactique, était apparemment un lieu de rencontre populaire).
Là où l'absence de succès commercial est une issue heureuse
Leçons tirées des premières rotations de la FORPRONU ont souligné l'importance, pour des raisons à la fois pratiques et de moral, de se déployer avec une unité médicale dotée d'une capacité chirurgicale complète. L'opération ALLIANCE n'a pas fait exception. L'équipe d'avant-garde du Centre chirurgical avancé du contingent est arrivée au camp Coralici le 3 janvier, où elle a rapidement mis en place des services de niveau SEM pour les éléments de la brigade arrivés en premier - juste à temps pour permettre au major Mehran, le chirurgien résident, de sauver la vie d'un soldat serbe de Bosnie grièvement blessé grâce à une opération chirurgicale complexe tard dans la nuit, dans des conditions austères. Le reste du matériel du Centre chirurgical avancé est arrivé le 15 février et l'hôpital était opérationnel dès le 17. Une fois entièrement installé, le Centre chirurgical avancé comprenait un bloc opératoire, une unité de soins intensifsde deux lits, une zone de réanimation à deux travées, un service de radiologie, un laboratoire, une pharmacie et un service d'hospitalisation de huit lits pouvant être agrandi. Le complexe hospitalier accueillit également le détachement dentaire et le dépôt avancé de matériel médical. Ne se contentant pas de ses responsabilités internes, le Centre chirurgical avancé prit contact avec l'hôpital de Bihac et, à la mi-mars, commença à lui fournir une aide humanitaire. Cela comprenait une« clinique de fortune » indispensable et très appréciée pour la prise en charge continue des nombreuses victimes des mines, héritage de la guerre.
Garder les baïonnettes affûtées
L'accent mis sur l'entraînement sur le terrain était une caractéristique notable de l'opération IFOR. Cette initiative poursuivait un double objectif : maintenir et exercer le niveau des importantes capacités que l'OTAN avait mobilisées pour cette mission de maintien de la paix ; et démontrer concrètement l'efficacité de ces capacités à des fins de dissuasion. Le programme d'entraînement comprenait des exercices de remise à niveau individuels au sein des unités et sous-unités, ainsi que des tirs réels avec tous les principaux systèmes d'armes sur un champ de tir improvisé établi au niveau de la division. L'exemple le plus frappant de cet aspect de la mission de l'IFOR fut l'initiative de la compagnie G d'établir dans la vallée de Sanica (une partie de l'Opstina qui avait été vidée de ses Serbes de Bosnie), un complexe d'entraînement comprenant cinq champs de tir. Le commandant de compagnie, le major Denis Thompson – aujourd'hui mgén (ret) – a écrit :« Je n'oublierai jamais le respect qu'ils m'ont témoigné lors de notre démonstration de puissance de feu devant les commandants bosniens locaux. Ce qui les a vraiment impressionnés, c'est la rapidité et la précision avec lesquelles nos mortiers de 81 mm montés sur nos Bison pouvaient faire feu efficacement. » Une capacité à laquelle nous avons abandonné, parmi tant d'autres, au cours des années suivantes. La plupart des forces en Bosnie étaient composées d'infanterie légère, constamment consciente de la menace que représentent les mortiers. De ce fait, la valeur dissuasive des mortiers pour ce type de troupes était indiscutable. »
Après mûre réflexion, et malgré de nombreux avis contraires, j'ai ajouté un élément au programme d'entraînement. M'inspirant de la culture du 2e GBMC à Petawawa, j'ai ordonné l'organisation d'un concours de compétences militaires du 2eBrigade multinationale canadienne. Cet événement était prévu pour la dernière partie de notre déploiement de six mois, une fois les tâches principales du mandat de Dayton bien avancées. Mais mon raisonnement allait au-delà du simple constat que « l'oisiveté est mère de tous les vices. » Je voyais dans cette compétition une occasion qui permettrait aux Canadiens, aux Tchèques et aux Britanniques de se rencontrer et d'échanger, ce qui n'aurait pas été possible dans le cadre habituel de la vie sur le terrain. De plus, la compétition est un élément essentiel de la vie militaire et contribue à l'esprit d'équipe et au moral des troupes. Conformément au programme, l'événement comprenait toutes les épreuves habituelles : marche et tir, parcours d'obstacles, tir à la corde, course de la chaîne de commandement, etc. Il était complété par une exposition de matériel : une occasion de présentation permettant aux soldats de découvrir l'équipement de leurs alliés. Heureusement, d'un point de vue partisan, au terme de la journée, l'équipe canadienne s'est imposée comme la grande favorite, malgré une compétition serrée (sauf lors des matchs de marche et de tir, où le RCR a dominé ses adversaires). Cette victoire canadienne arrivait à point nommé, car quelques semaines auparavant, la République tchèque avait battu le Canada en finale du Championnat du monde de hockey sur glace de 1996 – et nous commencions à en avoir assez d'entendre parler. Avoir le droit de se vanter, ça remonte le moral !
Canada sec
Alors, que pensez-vous de ma politique « zéro alcool », vous demandez ? Certes, elle a suscité des réactions et des controverses, mais peut-être davantage à l’extérieur qu’à l’intérieur de la brigade. Personne n’aurait dû être surpris. C’était une politique que j’avais mise en place pour les exercices de terrain lorsque je commandais le 8th Hussards. Et cette politique s'appliquait à tous les entraînements hors garnison de la SSF (et plus tard du 2 GBMC) lorsque je commandais l'unité (d'où notre surnom de « Brigade Gatorade »). Mon point de vue sur l'alcool était globalement influencé par les tragédies qu'il avait engendrées lors des récents déploiements opérationnels depuis Petawawa. Ma conclusion ? La consommation d'alcool ne présente aucun avantage compensatoire. C'est un dépresseur, une cause de troubles du sommeil et un facteur de risque pour de nombreuses maladies graves. En situation opérationnelle, elle détourne l'attention de la mission et nuis souvent à la discipline. En Bosnie, cette politique a pourtant donné de bons résultats. D’après nos médecins et les données des bilans de santé des soldats, ces derniers étaient en meilleure santé que lors des missions habituelles où l’on consomme deux bières par jour (en effet, nos médecins ont estimé que quelqu’un qui consomme deux bières par jour est par définition un alcoolique). Nous n'avons pratiquement eu aucun incident disciplinaire. La concentration sur la mission s'en est trouvéer enforcée, car au lieu de se réfugier au mess pour boire une bière après le souper, les soldats participaient à des exercices de remise à niveau, à la préparation des procédures de combat pour le lendemain, à des activités physiques et sportives, etc. Les sous-officiers estimaient être mieux à même d'assumer leur responsabilité envers le bien-être de leurs troupes. Les familles des employés du comté dormaient mieux, sachant leurs proches en sécurité. De plus, les salaires souvent dépensés dans les cantines et les bars étaient économisés et envoyés à leurs familles. Je maintiens pleinement ma politique. La responsabilité du succès de la mission et de la gestion des risques pour tout le personnel m'incombait entièrement. Le moral était excellent. Nous accomplissions un travail important et de qualité, et nous savions ce qui était en jeu pour les FC. Tout est dit.
Nos morts
L'une des tristes conséquences de l'accélération du rythme opérationnel et de la complexité accrue des missions aux quelles les Forces canadiennes ont dû faire face dans les années 1990 a été l'augmentation des pertes. Nous avons tiré (ou réappris) de nombreuses leçons douloureuses sur la façon de gérer cette réalité du métier de soldat – une réalité largement absente durant les années de paix de la Guerre froide. Responsabilités envers les familles des victimes. Reconnaissance et prise en charge adéquate des personnes souffrant de SSPT. Renforcer les capacités des centres de soutien aux familles. Joindre le geste à la parole en matière de financement et de priorisation des politiques connexes. Nous avons rencontré des difficultés dans tous ces domaines. Lors de ma première année à Petawawa, nous nous sommes largement consacrés à la mobilisation des forces armées – pour les Balkans, la Somalie et le Rwanda. J'ai inspecté les unités et leur ai donné des instructions avant leur déploiement, puis je les ai accompagnées à l'aéroport de Trenton. J'espérais et priais pour qu'elles rentrent toutes à la maison, mais trop souvent, ce ne fut pas le cas. Le pire était à venir en Afghanistan, mais cela ne rendait pas nos pertes, pourtant relativement faibles, moins douloureuses.
Quand mon tour est venu d'être déployé — avec plus de 1 000 soldats sous mes ordres, —mon objectif était de tous les ramener à la maison en six mois. La mission primait, certes, mais la sécurité et la protection des forces restaient une priorité absolue – et je l'ai constamment répété aux états-majors de brigade, aux commandants d'unité et directement aux troupes. Alors que la fin de la mission approchait sans que le contingent n'ait eue de pertes, il semblait que nous pourrions nous en sortir indemnes. J'ai insisté une fois de plus sur la sécurité et les dangers de la complaisance. Mais finalement, alors que l'équipe d'éclaireurs de Roto 2 était déjà sur place, un tragique accident de la route a eu raison de nous. Un Bison transportant la section d'intervention rapide de sapeurs sur le lieu d'une frappe de mine qui avait immobilisé un véhicule britannique s'est renversé en évitant un véhicule arrivant en sens inverse dans un virage serré en descente abrupte. Un soldat, le sapeur Holopina, fut tué sur le coup. Deux autres furent grièvement blessés. J'étais anéanti, comme je crois que l'était aussi tous les soldats de la formation, canadiens, tchèques ou britanniques.
Nous sommes rentrés fiers, mais abattus. On ne peut pas tous les protéger. On ne peut qu’essayer. Le général de division (ret) Jim Ferron, mon chef d’état-major en Bosnie (qui coordonnait les opérations depuis le quartier général de la brigade), et moi-même avons évoqué ce jour tragique lors d’une réunion au Château Laurier à Ottawa en novembre 2023 pour rendre hommage à Gloria Hooper, la mère du sapeur Holopina, récipiendaire de la Croix d’argent du Canada cette année-là. La perte du sapeur Holopina reste mon souvenir le plus marquant de l'opération ALLIANCE. Les pertes, quel que soit leur nombre, laissent des cicatrices indélébiles. Aussi, dans les années qui ont suivi, j'ai été profondément touché par les conséquences de la guerre en Afghanistan, le plus long conflit du Canada, qui a fait de nombreuses victimes parmi les commandants, les camarades et leurs familles. Les pertes humaines subies par l'Ukraine (estimées à plus de 100 000) dans sa guerre contre la Russie pour la défense de sa souveraineté – un bilan égal ou supérieur aux pertes totales du Canada lors des deux guerres mondiales – sont véritablement inconcevables. Assurément, personne ne hait plus la guerre que ceux qui la mènent.
CCIFOR et les médias – Pas de nouvelles, bonnes nouvelles
L’Officier des affaires publiques du CCIFOR a résumé ainsi le manque relatif de couverture médiatique de l'opération ALLIANCE : « Certains ont peut-être été surpris que nous n'ayons pas fait la une des journaux pendant toute la durée de la mission. Eh bien, nous avons été victimes de notre propre succès. »Dans une large mesure, les choses se sont trop bien passées et la paix s'est installée partout, rendant ainsi l'histoire du CCIFOR moins intéressante. L'attention médiatique aurait été bien plus importante si les choses s'étaient mal passées : si nous avions utilisé la force létale, par exemple ; si certains d'entre nous avaient été pris en otage ; si nous avions subi des pertes importantes ; si un scandale avait éclaté ; etc. Et pendant que nous étions en Bosnie, les détails de l'enquête sur la Somalie se multipliaient à notre retour au pays. Comment pouvions-nous rivaliser ?
Mission accomplie !






















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